Tour de Bretagne à vélo
- Julien Perret
- 30 juin 2022
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 mars
En juillet 2022, j'ai parcouru le littoral de la Bretagne à vélo pendant un mois, de la baie du Mont-Saint-Michel jusqu'au golfe du Morbihan. J'ai découvert une région à l'identité forte et aux paysages variés, entre les côtes échancrées de l'Armor et les landes infinies de l'Argoat, par un temps exceptionnel.
De ce voyage, j'ai réalisé une vidéo complète, rapporté des photographies et rassemblé mes pensées par écrit. J'espère que ces échantillons de la Bretagne vous évoqueront des souvenirs ou vous donneront envie de partir l'explorer à votre tour.

Itinéraire
Pour construire mon itinéraire, je me suis basé sur le vélo guide Le Tour de Bretagne à vélo de Nicolas Moreau-Delacquis, un journaliste français spécialisé dans l'univers du cyclisme et du tourisme. Depuis la gare Montparnasse à Paris, je me suis rendu avec mon vélo à Avranches. En seulement quelques coups de pédale, j'atteignais la baie du Mont-Saint-Michel, partagée entre le département de la Manche à l'est et celui de l'Ille-et-Vilaine à l'ouest. De là, j'entrais en Bretagne et entamais alors mon périple de 28 jours et 1 400 km le long du littoral à travers l'Ille-et-Vilaine, les Côtes-d'Armor, le Finistère et le Morbihan.
L'ensemble et le détail des 28 étapes est accessible et téléchargeable en GPX sur ma collection Komoot Tour de Bretagne à vélo. Mon équipement pour ce voyage est détaillé ici.
Vidéo
Récit
Les paysages
De la côte d’Emeraude à la baie d’Audierne en passant par la côte de granit rose, le littoral breton, aussi appelé Armor, regorge de trésors sculptés par les vents et les marées. Hérissé de pointes et de caps, pénétrés de rivières et d’estuaires, c’est une véritable bataille que la mer et la terre se livrent ici. Par endroit le choc est si brutal que la terre se dresse en abruptes falaises solitaires qui refusent toute réconciliation. En d’autres un semblant de trêve laisse place à des plages de sable fin ou de galets rondouillets. La Manche, l’Atlantique et l’Iroise s’emploient à grignoter ici et caresser là, au rythme des cycles lunaires, la Bretagne.
La côte armoricaine ne doit pas ses formes séduisantes à la mer seule. Le vent aussi a son mot à souffler. Du soir au matin, du matin au soir, il polit la roche, décoiffe les arbres et soulève les grains de sable. Le nordet, le suroît, le noroît, le kornog… Il possède autant de noms que d’orientations. Tantôt il se manifeste sous la forme d’une brise innocente, tantôt il se transforme en virulentes rafales capables de déraciner un menhir vieux de 5000 ans. Il est imprévisible, inépuisable, imperturbable.
Ensemble ils bâtissent des presqu’îles, abattent des falaises, sculptent la roche et façonnent la terre. Depuis que le massif armoricain a émergé des profondeurs océaniques il y a des centaines de millions d’années, il n’a eu de cesse d’être modelé. Nous le découvrons aujourd’hui dans sa forme la plus aboutie, et que dire d’un tel spectacle… c’est une véritable offrande à nos yeux.
Les phares
Au milieu de la mer, sentinelle de la nuit,
De ta blanche lumière, tu protèges la vie,
Qu’ils soient marins pêcheurs, ou bien explorateurs,
Dans l’infini noirceur, tous cherchent ta lueur.
A l’assaut des marées, au souffle des tempêtes,
Conscrit sur ton rocher, tu résistes en poète,
Au dam des éléments, nul ne peut t’affronter,
A l’exception du temps, qui seul peut triompher.
Du fond des océans, tes pierres ont émergé,
Du labeur des humains, elles ont gravi le ciel,
Par l’épreuve du temps, à tomber elles sont vouées,
Dans l’âme du marin, elles seront éternelles.
Les ports
Comment parler de la Bretagne sans évoquer ses ports, ses bateaux et ses marins ? La côte armoricaine est décorée de coques, de mâts et de voiles qui voguent sur les eaux dans toutes les directions. Où que l’on se trouve et où que l’on regarde, du grand bleu émerge toujours un point blanc. C’est une sorte de serment qui unit les marins et la mer.
De plaisance, de pêche ou de commerce, les ports ont chacun leur fonction. En ville, ils sont d’une droiture irréprochable. Quais, pontons et bateaux forment des équerres et des droites parfaites. Dans le tintement des coques qui font office de bouclier, les mâts alignés se dressent comme les épées d’une armée navale prête à partir à l’assaut de l’océan. En mer, c’est tout le contraire. La courbure de la côte, la douceur du sable et le baiser des vagues libère de tout élan martial. Les angles se courbent, la rigidité s'amollit et l’uniformité se singularise. Le charme s’étoffe.
Qu’ils soient amarrés au port ou mouillés en rade, les bateaux éclatent de brillance. L’axe de leur mât, qui se penche et se redresse au rythme du temps, rappelle la grandeur des marées bretonnes. Tantôt échouée sur le sable, tantôt portée vers le ciel, leur âme ne prend réellement vie qu’une fois sur le large, les voiles gonflées par le vent et la proue ouvrant la mer en deux d’une allure biblique. Cette passion de la mer et de la navigation, certains hommes l’ont poussée jusqu’aux limites de l’imaginable, quand sur les rives de Saint-Malo, Jacques Cartier hissa les voiles et mit le cap sur l’océan, ignorant tout de l’horizon qu’il poursuivait. Quelle inspiration, cette mer.
Les chemins
De la lande à la ville, de l’argoat à l’armor, les chemins traversent le paysage breton comme le système veineux d’un marin exultant de joie sur le large. Ils épousent la côte, pénètrent les forêts, dévalent les vallées, dominent la mer. Voyageurs et pèlerins les empruntent un par un, portés par le flux du vent qui s’y engouffre à chaque battement de cœur de l’océan. Ils sont les artères de la Bretagne.
Adouci de courbes ou endurci de droites, tapissé de sable ou coulé d’asphalte, noircit de pluie ou brunit de soleil, de forme, de matière et de couleur, aucun chemin n’a de pareil à lui-même. Il est une passerelle en bois affleurant un marais, un sentier côtier effleurant la falaise, une allée verdoyante à l'allure d'un tunnel. Il affirme la singularité de l’environnement dont il est l’invité, épousant son relief et embrassant ses hôtes.
Par tous les temps, suivre ces chemins est une stimulation du corps et de l’esprit. Chaque contraction musculaire se traduit dans un coup de pédale propulsant le vélo à toute berzingue. Les couleurs, les sons et les odeurs défilent aussi vite que la route. Les sens en sont décuplés, l’attention devient totale. C’est comme une perfusion de vitalité qui parcourt tout le corps aussi longtemps qu’il est en déplacement, au contact de la nature et des éléments.
Le bivouac
Élire une terre pour y passer la nuit procure un sentiment intense d’appartenance. L’union avec l’environnement est scellée du coucher au lever du soleil. Elle est éphémère, naturelle, authentique. Le soir, les éléments s’apaisent. Le vent s’estompe et les vagues s’endorment. La lumière éclatante de l’astre doré, les couleurs vives du paysage et la frénésie du mouvement sont remplacées par la lueur tamisée de la lune, le bleu soporifique du crépuscule et la quiétude de l’immobilité. Le monde s’endort, et moi avec, bercé par la houle.
La Bretagne abonde de prétendantes où célébrer cette union secrète avec la terre, à l’abri des regards. Enveloppé de l’herbe haute d’un champ sauvage, couronné du feuillage épais d’un frêne centenaire, entouré de rochers granitiques à l’allure de forteresse, la tranquillité est assurée. A l'aplomb d’une falaise ou sur le rivage d’une plage, c’est face à la mer et au soleil couchant que je monte la tente chaque soir.
Au matin, le réveil est d’une douceur inestimable. La mer joue sa mélodie habituelle, le ciel peint des arc-en-ciel sur l’horizon et le soleil darde ses premiers rayons de lumière. Un nouveau jour se lève. Encore enveloppé dans mon sac de couchage, j’étire mon corps dans toute sa longueur, me redresse en position assise et du bout des doigts entrouvre la toile de la tente. En un instant, l’air frais chargé des effluves de l’eau salée remplit mes poumons, la mer et le ciel colorent ma rétine d’un bleu azur, les vagues chatouillent me tympans de leur écume et la brise me cajole comme une mère pouponne un nourrisson. Me voilà pleinement ressourcé, prêt à entamer une nouvelle journée.
Les villes et maisons
Sur ces terres inhospitalières habite un peuple forgé par les vents et les marées. A première vue, il paraît rude, indomptable, austère. Pourtant, derrière ses murs en pierre, brûle un feu chaleureux ne demandant qu’à être découvert. Un sourire, parfois, suffit à le faire.
En ville ou à la campagne, la force des éléments ne faiblit pas. Balayées par le vent, martelées par la pluie, les maisons résistent, fiers de porter comme ossature les pierres de Bretagne. Par endroit, elles s'agglomèrent pour former les cités emblématiques de Saint-Malo, de Tréguier, de Concarneau. En d’autres, elles s’isolent pour épouser les rochers granitiques de Trégastel, de Plougrescant, de Meneham. Elles sont à l’image de leurs hôtes : robustes à l’extérieur, tendres à l’intérieur.
On dit que les Bretons sont festifs. Autour d’un feu de cheminée, au comptoir d’un bar ou sur le pont d’un voilier, on chante, on danse, on boit. Un soir, on maudit le temps de la journée. Le suivant, on célèbre la mer après une pêche abondante. Chansons, comptines, complaintes… à chaque émotion son expression. Les Bretons sont l’âme de la Bretagne.
Les mégalithes
Élue parmi tes paires, pierre de nos ancêtres,
De ton âge ancestral, tu témoignes d’un temps,
Où les Hommes et la terre, ne connaissaient de maître,
Que la substance opale, d’un respect envoûtant.
Face à la mer turquoise, les Hommes t’ont cueillie,
Sur des rondins de bois, ils t’apportèrent une vie,
Où seule à l’avenir, tu vécus comme en reine,
Érigée en menhir, ou couchée en dolmen.
Les années passeront, ton âme restera,
Inscrite dans la chair, de ton pays natal,
Où par génération, l’Homme se transmettra,
La mémoire éphémère, d’un rituel ancestral.
Les édifices chrétiens
Il y a deux millénaires un homme est mort en martyr, suspendu à une croix, les mains et les pieds cloués dans le bois. Il n’avait existé vraiment que trois ans, et n’était connu chez lui que de peu. Ailleurs, son nom n’évoquait rien.
Aujourd’hui, en Bretagne, à plus de 3000 kilomètres à vol d'oiseau de l’endroit où il vécut, les Hommes perpétuent sa mémoire. Ils bâtissent des cathédrales monumentales, érigent des églises au centre des bourgs, construisent des monastères dans le creux des vallées, dressent des croix sur les rochers. Ils prient, récitent, transmettent.
Voyager en Bretagne, c’est s’imprégner à chaque endroit de cette foi qui est arrivée en bâteau par delà la Manche. Samson, Malo, Brieuc, Tugdual, Pol Aurélien, Corentin, Paterne, sept moines pour semer les graines qui formèrent les sept premières cités chrétiennes. Aucun doute, Jésus vit encore dans l’âme de ce pays qui fait face à la mer.